[QL: Le Géant et la Souris] 1 - A la recherche d'une pelle

Post N°3

Ah, il fallait l’entendre brailler mon ensoutané : "Grognar, ça fait cinq pelles en quinze jours ! Modère un peu tes ardeurs, le produit de la quête finira par ne plus suffire à payer tes outils."

Il est marrant, lui… Je sens pas ma force, je sens pas ma force. Qu’est-ce que j’y peux ? Et pis, pas de ma faute si ils foutent plein de cailloux dans la terre. Tu creuses tranquillement comme dans du beurre et pis paf, une caillasse, t’as le manche dans une main et le bout de ferraille par terre. Pas ma faute non plus si on n’a pas un forgeron capable de faire des pelles solides.

Résultat, me voilà de corvée. Bon pour aller acheter une pelle !

Nom de Téléphane de bordel de Téléphane, je sens que ça va me courir de me mélanger à la populasse. A cette heure-là, la Rue des Commerces grouille de pénibles et il va falloir que je disperse un peu sur mon passage. Parce que traîner dans le centre, c’est pas une partie de plaisir pour moi avec la masse de contrariants qui vient rôder un peu trop près de mes arpions.

D’habitude, le monde, je le vois arrivé couché et verdâtre et y’a à peu près que comme ça que je le supporte.

Bref, puisqu’y parait que je suis "responsabe" de mes outils, je m’en vais l’acheter cette foutue pelle. Et ça me donnera l’occasion de tester leur solidité. Je peux te dire que si jamais j’ai un manche qui me pète dans les mains, je vais lui coller en travers la tronche, au vendeur.

Quand je passe devant la boutique de Maître "Pléthore Clystère", y’a une queue longue comme la location d’un de mes trous. Quelle bande de crétins ! S’agglutiner comme ça pour acheter trois miettes de pain… Le meilleur de la ville qu’y paraît ! Tu parles ! Un croûton, c’est un croûton.

Je joue un peu des coudes pour "m’effrayer" un passage au milieu de cette nuée. Ça tournicote, ça gesticule, ça bourdonne comme les troupeaux de mouches qui rôdent autour des moisis pas frais du jour qu’on m’apporte des fois.

Un peu plus loin, y’a l’échoppe d’un outilliste… D’un outillier… D’un mec qui fait des outils… Pas la peine d’aller plus loin, celui-là me conviendra parfaitement.

- Approchez, mon bon monsieur ! Qu’est-ce qu’il vous fallait ? Un marteau, une pioche, un burin ? Venez regarder nos outils ! La qualité du fer est incomparable, les manches sont tournés dans les meilleurs bois.

Lui, je sens qu’il va me faire l’article. Mais faut pas me prendre pour un lapin de six semaines, je sais reconnaître un bout de ferraille costaud d’un bout de ferraille pas costaud.

- Une pelle qu’il me faut ! J’espère que t’en as des coriaces et pas chères parce que tes ratiches sont en jeu.

Après ces politesses d’usage, on va pouvoir commencer la négociation.

Post N°1

Voilà trois jours qu'elle erre dans la cité.
Trois jours qu'elle n'ose pas retourner au logis...peur que la vieille y soit...ou pas...
En trois jours, son errance l'a menée jusqu'au grand marché. Là au moins, elle a trouvé de quoi apaiser un tant soit peu la faim qui la tenaille, quitte à le disputer aux chiens et cochons.
Mais elle n'ose pas s'y attarder, trop de gens d'armes et puis aussi des tire-laine, une bande ou deux.
Des adolescents qui lui ont jeté des regards mauvais et ont craché à terre dans sa direction.
L'un d'entre eux, plus âgé a même tenté de la courser mais peine perdue, elle a filé sans demander son reste.
Pour se reposer, la souris est entrée dans la première église venue, avec crainte. Le Téléphane elle ne le connaît pas bien, ni son double sombre d'ailleurs. Mais comme il paraît qu'Il voit tout et sait tout... mieux vaut courber l'échine en entrant chez lui.
Un coin discret, et même si la pierre est froide et dure, roulée en boule Trotte-menue a pu y prendre un peu de repos.
Et y gagner quelques pieccettes en tendant la main lors des offices, mais si peu...

Trois jours... ce matin il est temps de réagir!

Rapide passage à la fontaine. Juste le temps d'étancher la soif, de taillader la tignasse fournie et pouilleuse qui l'embarrasse plus qu'autre chose à l'aide de son stylet.
L'opération lui arrache quelques grimaces car la lame du stylet est plus qu'usée.
Mais le résultat lui donne un air certain de garçon! Du moins c'est ce qu'elle croit en voyant son reflet dans le bassin.
Rangeant son outil de travail et sa seule richesse sous ses hardes, Trotte-menue prend résolument la direction de la rue des commerces.
Même usé, le stylet va encore servir.

Encombrée la rue!
Des livreurs, des passants, des acheteurs... Tout ce monde se croise, s'interpelle et se bouscule.
Ici, c'est sûr, l'argent coule à flot. Il suffit juste de repérer la bonne occasion...

Et justement... des étudiants!
Ils sont trois autour d'un jeu de bonneteau, tout occupés à se chahuter et parier sous l'oeil goguenard de la fripouille qui espère bien les délester à sa façon.

Trotte-menue s'approche, les frôle, cherchant à voir les ceintures. Dans la bousculade elle passe inaperçue mais il faut faire vite et sans hésiter.
Déjà, elle sort son stylet et quand, soudain, une bourse élimée passe sous son nez, ses petits doigts s'en emparent et...coupe, coupe, coupe!
Demi-tour au pas de course.
La prise n'est pas formidable...

Hé!!!!
Ma bourse!!!!
Au voleur!!!

Post N°4

Voilà exactement pourquoi j’aime pas le monde ! On peut pas faire ses courses tranquille. J’étais en train de soupeser une pelle avec l’œil du connaisseur quand un excité s’est mis à brailler dans mes esgourdes.

J’ai fait ni une, ni deux, je lui ai collé une mandale. Un réflexe !

Non mais oh, je vais pas me laisser chatouiller les écouteurs sans rien dire. Un peu de tenue tout de même. M’en fous, moi, qu’on lui ait piqué sa bourse.

Pendant qu’il se ramassait la tronche par terre, les deux types avec qui il était en train de se faire escroquer se sont lancés en avant. J’avais pas vu qu’ils cherchaient à poursuivre la chapardeuse. Elle m’arrive à peine là, j’ai pas l’habitude de marcher en regardant mes genoux. La p’tite forme s’est faufilé entre mes pattes, j’ai juste eu le temps de voir un courant d’air. Mais comme j’étais sur le chemin des deux guignols, j’ai pensé que c’était après moi qu’ils en avaient.

Enfin… J’ai rien pensé, comme d’habitude ! J’ai juste vu deux zigotos se jeter vers moi.

Bon, ben…

Coup de pelle !

La tête du premier s’est mise à tourner comme une toupie et son corps aussi mais pas en même temps. Ça a fait comme un joli tourbillon de viande qui a fini par s’affaler en steak haché. Le deuxième s’est mangé le fer en pleine face et j’ai juste entendu comme une mitraille de molaires qui pétaient en cascade. Il est tombé tout droit, comme s’il s’enfonçait dans ses souliers.

Ça s’est fait discret dans la foule. On s’est mis à regarder ailleurs. Même le lascar du bonneteau a oublié de râler parce que je venais de lui descendre trois beaux pigeons. Moi, j’ai regardé ma pelle : elle avait pas bougé, dis donc ! Même pas une petite cabosse. Ça, au moins, c’est de la bonne camelote.

Comme ça m’a bien détendu les nerfs, j’ai même pas négocié le prix. J’ai juste dit au vendeur :

- Je la prends !

Post N°2

Perséphon en personne!

Morte de trouille, Trotte-menue fixe d'un air hagard l'armoire à glace qui lui tourne le dos.
Sans réfléchir, seulement poussée par l'instinct elle s'est faufilée dans ce qui semblait être un passage, une ruelle et la voilà prise au piège dans l'échope d'un ferblantier avec le démon qui lui bloque le passage.
Sa chance a tourné et la souris sent que ses heures sont comptées vu comment l'homme s'est débarrassé des étudiants à sa poursuite.
Ses oreilles retentissent encore des coups portés et entre les jambes du démon elle aperçoit dans un brouillard ses trois victimes sans mouvement.
Tout autour, il y a comme un silence interdit. La rue, un instant s'est tue et regarde la scène, interloquée.
Le géant lui se retourne alors tranquillement et Trotte-menue sent la nausée la submerger en découvrant le visage balafré.

- Je la prends !

Cela sonne comme un glas et déjà, des points noirs dansent devant les yeux de la souris qui, pour résister se mord la lèvre.
Le goût métallique du sang dans sa bouche lui donne un sursaut d'énergie.
Alors, tenant fermement la bourse volée d'une main et son stylet de l'autre la gamine s'élance, résolue à ne pas se laisser "prendre" si facilement en optant pour la seule issue possible... entre les jambes du démon!

Petite guèpe inconsciente, la fuyarde pique la première chose qui passe à sa portée... histoire de surprendre l'homme... une cuisse!

Post N°5

Aïe !

Qu’est-ce que c’est que ce moustique ? Il m’a estafilé le jambonneau. Deux pouces plus haut et voilà qu’il me rendait borgne d’une roubignolle.

Ça se faufile vite ces bestioles mais j’ai le bras long. J’ai juste eu le temps de l’attraper par le fond de sa culotte. Je l’ai soulevé du sol, pour la regarder. Elle pendouillait au bout de mon bras, son pantalon dans ma main et elle qui dégoulinait dans ses habits trop grands. On aurait dit une souris morte.

- Dis donc, mam’zelle, on dirait que t’aimes bien découper les bourses mais faudrait pas t’en prendre à ma virilité. C’est du matériel sensible.

Je lui aurais bien mis un coup de pelle pour lui apprendre la délicatesse mais quelque chose m’a retenu. Je crois que j’aime pas trop défoncer des crânes en-dessous d’une certaine taille.

Disperser du pénible, en général, ça me délasse. Mais quand c’est des gamins, j’ai beau savoir que c’est des futurs cons, j’arrive pas à leur coller des baffes. Même que quand on m’en amène des moisis, ça me fait un petit quelque chose. Je peux brasser des pelletées de terre sur la ville tout entière en sifflotant mais dès que c’est des mioches, j’ai comme un truc qui passe pas.

Et pis après tout, je lui dois un bon moment de rigolade et une pelle à coup sûr solide. Rien que ça, ça mérite mon "nain du l’gence". Faudrait quand même pas croire que je suis pas capable d’être aimable !

Du coup, je l’ai reposée par terre. Elle allait sûrement se carapater vite fait mais avant qu’elle s’évapore, j’ai quand même tenu à lui montrer que je pouvais être charmant. Parce que ça m’arrive pas souvent alors j’aime bien que ça se voit.

Comment on fait déjà ? Il faut tordre la bouche d’une certaine façon… Et plisser un peu les yeux. Pas évident leur truc… J’ai beau me tortiller la tronche dans tous les sens, je suis pas sûr du résultat. Bref, je sais pas trop si ça se voit de l’extérieur mais de l’intérieur, j’essaye de lui sourire.

De toute façon, faudra bien qu’elle s’en contente, je suis à fond.

Post N°3

Maudit stylet qui lui fait défaut au moment ou elle en a le plus besoin!
La lame émoussée a glissé sans faire plus de dégats que les griffes d'un chat et à présent elle gît à terre tandis que sa propriétaire gigote et brasse de l'air en croyant sa dernière heure venue.

Le démon parle, mais elle ne l'entend même pas, ne voyant que cette pelle brillante dangereusement proche.

Et puis, soudain voilà qu'il l'a repose en la regardant de toute sa hauteur.

Eberluée, tête dévissée pour mieux voir le balafré, Trotte-menue n'y comprend plus rien.
Non seulement elle est encore vivante mais en plus, voilà que sur le visage de l'homme apparaît comme une grimace... un sourire!

Alors, tandis que les oreilles de la souris se mettent soudain à bourdonner, elle murmure d'une petite voix rauque de peur et de surprise mêlées:

T'es pô beau...

Et puis s'écroule sans connaissance comme une chiffe molle aux pieds du géant tout en tenant encore dans sa main la bourse chapardée.

Post N°6

Ben merde, voilà qu’elle "s’épanouit" la p’tite ! Ziou, dans les vapes ! Je sais que j’ai pas le sourire gracieux mais tout de même. Si j’étais pas aussi souple de caractère, ce serait à la limite de me vexer.

En tout cas, je peux pas la laisser là, couchée dans les pommes. Avec le nombre de charognards qui rôdent dans ces rues puantes, sûr qu’il va lui arriver des choses tristes.

Je percute seulement qu’avec tout ça, j’ai pas payé ma pelle. Ça se fait pas d’utiliser un outil sans le payer et je l’ai déjà étrennée. Je balance quelques piécettes au pelletier qui - je sais pas pourquoi - a pas encore eu l’idée de me les réclamer, et je prends le chemin d’ailleurs.

Je balance ma pelle sur une épaule, la p’tite voleuse sur l’autre et je me faufile à coups de coudes pour redescendre la rue jusqu’au cimetière.

Ma cabane, c’est pas le Palais Impérial mais au moins, elle aura un toit pour la protéger de la pluie et des maquereaux. Parce que je les connais ces hyènes qui tournent pour mettre la main sur des gamines. S’occupent pas de leur âge pour les foutre au tapin. Dès qu’elles ont une paire de miches, même juvéniles, ils voient en elles un tiroir-caisse. Et pis, y’a des clients au goûts bizarres... Pauv’ gosse ! Je vais quand même pas la laisser devenir une poupée molle sous les râles de vieux gros dégueulasses.

Je vais la laisser dormir un peu et je lui donnerai à manger. Après, je la ramènerai à ses parents.

Comme j’ai fixé moi-même le prix de la pelle à pas cher, il me reste un peu de monnaie sur ce que mon cureton m’avait donné. De quoi faire quelques provisions pour rembourrer un peu la fluette. Tiens, pis vu que parce que je suis bon, je vais même passer chez "Castor Austère", le boulanger de luxe.

On verra bien si il est si bon que ça son quignon !

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