[Quête de la Noce] 3 - L'Arrivée du Promis

Le Prince Mélien jubilait.

Enfin, le voilà ce palais Impérial dont il rêvait depuis tant de temps. La vaste et luxueuse résidence de son père dans la Capitale Grise n’avait rien à envier à la magnificence de cet édifice somptueux mais le cœur du pouvoir, le véritable siège de l’Empire et du commandement suprême était ici, dans ce monument splendide édifié par le grand Sardenor, son aïeul.

Pour la première fois, il allait pénétrer sous les luxueuses voûtes, marcher sur le fastueux pavement de marbre qu’il considérait comme son héritage légitime. En épousant Ezabel, il allait faire le premier pas qui le conduirait vers le trône.

Les deux vieux potentats étaient usés, il était temps pour eux de passer la main à la jeune génération et Mélien s’était juré d’abattre son rival pour demeurer le seul et unique prétendant. Cette noce lui apportait enfin les moyens d’assouvir son ambition. Et ce qui le réjouissait par-dessus tout, c’était que sa promise était d’une beauté stupéfiante.

Ce corps frais et vierge serait bientôt sa possession et il se régalait d’avance des délicieux outrages qu’il lui ferait subir. Pas de quoi oublier ses nombreuses maîtresses ou ces femmes de petites vertus dont il jouissait avec une gourmandise insatiable mais l’idée de coucher dans son lit une princesse de sang l’excitait au-delà du raisonnable.

Et puisque le meilleur moyen de s’assurer de régner serait de lui faire un enfant, il s’était déjà promis de remettre son ouvrage cent fois sur le métier. Oui, il goûterait de sa douce peau, de sa jeune poitrine, de son ferme postérieur jusqu’à plus soif. Et si elle faisait mine de se refuser à lui, il n’éprouverait que plus de plaisir à la prendre de force…

Suivi de toute sa délégation, de ses plus fidèles soutiens, il fit pénétrer son cheval sous le large portail. Les autres cavaliers entrèrent à sa suite.

Il y avait là les plus puissants de ses affidés : l’expérimenté Agathos, Duc d’Allendry, le noir Malmor, Comte de Kalimanon, le bouillant Karlus, Comte de Firenx, le rustique Roeb-Hur, Baron de Vusgrod et, seule femme mais certainement la plus dangereuse de tous, la ténébreuse et mystérieuse Duchesse de Valsombre, Elénior.

Chacun de ses influents Seigneurs souhaitaient son avènement, unis dans la haine qu’ils portaient à l’Empereur et dans le mépris qu’ils éprouvaient à l’encontre du Prince Thélamon que pour rien au monde, ils n’auraient voulu voir monter sur le trône.

Mélien était leur champion, celui qu’ils souhaitaient pour seul maître et les moyens de parvenir à leurs fins importaient peu. Un mariage valait tout autant à leurs yeux qu’une guerre sanglante, pourvu que chacun d’entre eux puisse espérer une parcelle de pouvoir.

Impressionnés par cette clique d’éminents princes, les serviteurs s’élancèrent à leur rencontre, pliés en d’interminables révérences, prêts à obéir au moindre de leur désir, offerts tout entier à leur service et à leur accueil.

Post N°1

La Duchesse mit pied à terre avant tout le monde. Le protocole aurait exigé qu’elle attende que le Prince Mélien fût descendu de cheval mais Elénior ne s’embarrassait jamais du protocole.

Elle bouillait d’impatience de rencontrer cette jeune Ezabel dont on lui avait vanté la grande beauté. Comment cette petite garce impériale pouvait-elle se prétendre plus belle qu’elle ne l’était elle-même ? A peine sortie de l’enfance, mal dégrossie, elle ne pouvait certainement pas rivaliser avec la maturité resplendissante qui faisait se pâmer les mâles devant elle.

Tous les Seigneurs qui se joignaient au cortège du Prince n’avait pour elle que des regards coulants, enamourés, des attentions de prétendants. Tous mouraient de désir pour elle et elle s’ingéniait à se refuser à chacun. Non pas qu’elle soit avare d’offrir son corps, mais elle ne se donnait aux hommes que lorsqu’elle pouvait en attendre un intense plaisir ou de copieux avantages.

Comme une stratège de l’amour, elle avait délégué plusieurs de ses servantes dans la couche de ses sémillants messieurs, et elle en avait reçu l’assurance qu’aucun d’eux ne serait en mesure de lui donner le bonheur physique qu’elle réclamait avec voracité. Ses glorieux seigneurs étaient de bien piètres amants lui avait rapporté ses espionnes charnelles… Aucun ne méritait qu’elle lui fasse don de ses charmes et de ses talents d’amante et elle préférait se rendre inaccessible à leurs appétits, se régalant de les voir baver d’envie devant ses courbes affolantes.

Seul le Prince avait eu l’honneur d’avoir accès à ses chairs brûlantes. Non qu’il fût un partenaire inoubliable mais elle savait ce que ses attraits pouvaient lui apporter, elle savait comme sa grande expérience érotique pouvait le rendre fou de plaisir et la rendre précieuse à ses yeux. Et puis, il savait être fougueux et délicieusement brutal… Les quelques heures qu’elle avait partagées sous ses draps lui avaient offert délices sensuels et bienfaits politiques.

Pour l’heure, elle n’avait qu’une hâte, celle d’éclipser par sa splendeur la future mariée, de faire oublier à ces étalons affamés la chair fraîche de la promise et de tourner la tête et les sens de tous les Seigneurs présents à la noce.

Beaucoup de ceux qui soutenaient l’Empereur ne l’avaient jamais rencontrée. Il faudrait qu’ils ne puissent plus jamais l’oublier !

Suite

Par Téléphane, j’ai jamais vu un palais aussi impressionnant !

On a franchi le grand portail pour entrer dans la Cour d’Honneur. Toute une basse-cour de voletailles s’est jeté à nos pieds pour prendre en charge nos montures, nous faire des courbettes et répondre à tous nos besoins…

Moi, j’aime pas cette déférence ! Contrairement à tous mes collègues qui eux, ont l’air de bicher comme des demoiselles. Ca leur plaît à tous ces aristos qu’on leur lèche les bottes. En ce qui me concerne, je suis assez grand pour m’occuper tout seul de mon cheval.

La Duchesse de Valsombre est descendue avec grâce de son destrier, en tordant de la croupe pour se faire remarquer, comme d’habitude.

Celle-là, j’aimerais quand même bien me la coincer dans un coin sombre pour lui faire tâter de la flamberge que j’ai dans mon pantalon. Mais c’est même pas la peine d’y penser, elle s’intéresse qu’à ceux qui peuvent lui servir. Et moi, petit Baron de montagne, je peux pas lui servir à grand-chose.

J’avais entendu dire que le Palais Impérial était beau mais là, je dois avouer que ça dépasse toutes les rumeurs. Un long chemin de marbre qui s’étire entre deux bassins, d’immenses statues qui semblent garder l’entrée de leur imposante masse de granit… Et puis des colonnes de pierre grise surmontées d’immenses coupoles de bronze. Rien à voir avec mon château austère et rustique !

J’en arrive presque à me demander si ma présence ne fait pas tâche. Je crois surtout que Mélien voulait faire une démonstration de force en nous invitant tous à sa noce. Histoire de montrer qu’il a quelques nobles à sa botte, prêts à défendre sa cause. Je suis là pour faire joli dans le décor, quoi ! Pour impressionner les gogos qui penseraient que le Prince est tout seul…

Bref, tout ce que je veux, c’est qu’on passe aux réjouissances, que la bière coule à flots et que les rôtis succèdent aux gibiers… Quelques jours de festin et je retourne dans mes montagnes. A moins qu’on me propose une joute, une mêlée ou un combat quelconque, ce mariage ne m’intéresse qu’à moitié. Je suis pas un mondain, moi, je suis un guerrier !

Et je suis pas sûr que la paix qui s’annonce me convienne tellement ! Espérons au moins que quand les conflits intérieurs à l’Empire seront terminés, on me confiera une armée pour aller étriper les quelques barbares qui fanfaronnent de l’autre côté des montagnes…

Agathos n’avait pas dit un mot de tout le voyage.

Ils s’étaient regroupés au Palais Archiprincier et ils avaient fait route ensemble, suivis de leurs nombreux domestiques, d’une forte escorte en arme et de chariots qui portaient le volumineux nécessaire à leur chevauchée de plusieurs jours.

Chaque soir, ils faisaient étape, les domestiques s’affairaient à monter les tentes luxueuses et confortables qui abritaient leur repos. Tous les autres avaient dîner ensemble, bu et festoyé chaque nuit jusqu’à une heure avancée, serrés autour de leur cher Prince Mélien. C’était à chaque fois l’occasion de ridicules rodomontades, tous essayant de se faire remarquer plus particulièrement par le Prince, en déroulant le récit de leurs exploits passés, parfois imaginaires, en se poussant du coude pour être au plus près de lui, en tâchant de se montrer brillants dans leur conversation… La Duchesse de Valsombre, comme toujours, jouait de ses charmes, enivrait les sens de Mélien, demeurait dans sa tente bien longtemps après que les autres furent partis. Il soupçonnait même qu’elle y passât la nuit.

Mais Agathos ne se mêlait pas à ces mondanités, à ces fanfaronnades puériles. Il avait choisi d’être fidèle à Mélien parce qu’il était fidèle à son père. Son honneur commandait de le suivre parce qu’il considérait qu’on ne donnait pas sa loyauté en vain. Il n’avait aucun respect pour ce Prince qu’il jugeait indigne et incompétent. Mais l’hommage qu’il avait rendu autrefois à Aribal l’obligeait aujourd’hui à se faire l’homme lige de son fils. Peu importait ce qu’il pensait de lui. Jamais un membre de la lignée d’Allendry ne se déjugerait d’un serment de fidélité qu’il avait passé.

Ses compagnons essayèrent en vain durant tout le trajet de dérider l’insondable Duc mais Agathos restait froid et silencieux comme une statue de marbre. Rien ne l’obligerait à échanger quelques mots avec une bande d’aristocrates dont pas un ne trouvait grâce à ses yeux. Il se sentait tellement loin d’eux, de ce qu’ils étaient, de la manière dont ils se comportaient… Il se sentait tellement au-dessus d’eux…

En pénétrant dans la pompeuse Entrée d’Honneur, Agathos eut un sourire méprisant. Comme les grands de ce monde aimaient à s’entourer de luxe ! Comme ils se complaisaient à jeter au visage de leur visiteur l’éclat ampoulé d’une architecture démesurément boursouflée et emphatique ! Sans doute pour mieux cacher l'abyssale vacuité de leurs convictions, de leur talent dans la gouvernance de leur peuple…

Il se sentait déjà étouffer dans cette ambiance pleine d’esbroufe et de faux-semblants, regrettait amèrement ses terres boisées à l’harmonieuse sérénité. Mais puisqu’il fallait en passer par là, il accomplirait son devoir sans état d’âme. Il ignora superbement les démonstrations tapageuses de ses camarades qui voulaient leur entrée flamboyante et se tourna vers un domestique, profondément courbé sous la noblesse flagrante de son regard.

- Je suppose que sa grâce l’Empereur a mis des appartements à notre disposition… Conduisez-moi à ceux qui me sont destinés !

Malmor se tenait toujours un pas derrière le Prince Mélien, comme une ombre fidèle. Les deux hommes se connaissaient depuis l’enfance. Le père de Malmor avait été le Chancelier de l’ArchiPrince Aribal et Malmor avait grandi au palais, aux côtés de l’héritier. Ils en avaient conçu une amitié indéfectible, une complicité que lui jalousaient tous les autres adeptes de Mélien.

Quand son comparse mit pied à terre, Malmor ne tarda pas à l’imiter pour venir se serrer contre son épaule.

- Ce mariage est une erreur, murmura-t-il à l’oreille du Prince. Laisse-moi plutôt agir à ma façon… Profitons de notre présence en ces lieux pour abattre définitivement la concurrence. Quand la fête battra son plein et que Thélamon aura baissé sa garde, le corps plein d’alcool, je trouverai une occasion de l’attirer à l’écart pour l’égorger.

Mélien posa sa main dans le dos de son ami, le regard plein d’indulgence. Mais son ton se fit ferme et péremptoire.

- Il n’en est pas question, mon frère ! Tu ne quitterais pas ce palais vivant. Et tu nous entraînerais tous dans ta chute. Et puis, je veux ce mariage ! Je veux Ezabel ! Tu me comprendras dès que tu la verras.

Malmor fit une grimace. Il savait que la jeune épouse l’éloignerait fatalement de l’affection du Prince, qu’elle le remplacerait dans les longs moments qu’ils passaient ensemble et qu’il se verrait reléguer au rang de simple connaissance lointaine. Plus question alors de prodiguer ses conseils, ni d’espérer partager une parcelle de pouvoir. Il savait comme Mélien pouvait être influençable et se laisser tourner la tête par le moindre jupon, il savait que sa place de favori était menacée. Et il n’était pas question pour lui de se voir obligé de rester séquestré dans son château de Kalimanon, reçu au palais de loin en loin, quand l’emploi du temps de son complice lui en laisserait le temps.

Il détestait les marais que son père avaient reçus pour possession, uniquement parce que c’était le Fief le plus proche de la Capitale Grise. Il détestait ce climat humide et poisseux et préférait de beaucoup l’aile qu’on lui avait octroyée au palais ArchiPrincier. C’est là qu’il avait passé le plus clair de son temps depuis sa naissance et c’est là qu’il voulait demeurer toujours, aux côtés de son inséparable ami.

Sa décision était prise. Il la garderait pour lui, n’en soufflerait mot à personne mais il ferait tout pour faire échouer ce mariage. Et si aucune occasion ne se présentait de trancher la carotide de Thélamon, c’est la Princesse elle-même qu’il larderait de sa dague…

Le comte de Firenx se tenait à l’arrière de la troupe lorsqu’elle franchit les portes de la Capitale blanche. Son regard passait d’un point à un autre sans s’arrêter. Il se concentrait sur les lieux en hauteur. Là, où un assassin pouvait se dissimuler.

Une fausse alerte lui mit les nerfs en pelote. Il avait les mains serrées autour de la bride de sa monture, les jointures blanchies. Une goutte de sueur froide coula le long de son dos, le faisant frissonner. Cependant, il ne relâcha pas sa surveillance.

Il était quasiment détendu lorsqu’il mit pied à terre, après tout le monde bien sûr. On s’approcha de lui, et sortit une dague prestement pour se défendre. Le palefrenier se retrouva avec une lame contre la gorge. L’homme n’osa déglutir tant que Karlus ne rengaina pas son arme. L’acier retrouva son emplacement originel rapidement au grand soulagement du serviteur qui s’empara de la bride du cheval et s’éloigna sans regret, le cou douloureux là où le fil acéré l’avait caressé.

Le hall d’entrée était impressionnant. Impressionnant par le nombre important de cachettes possibles pour un quelconque trancheur de jugulaire. Il tint sa dague en main pour se rassurer et pouvoir réagir le plus prestement possible.

Ses yeux fous, comme hagards, rougis par l’observation forcée de son environnement bougeaient sans cesse dans leur orbite. Son regard passait sans prêter attention aux décorations disposées avec soin pour éblouir les invités. Seuls les abris pouvant cacher un traître l’intéressaient.

Enfin, son regard se posa et se fixa sur une cible. Un jeune homme qui se courbait à leur approche. Il marcha à grands pas vers lui, dépassant même Mélien, la lame bien visible. Le serviteur recula, mais la poigne du comte le retint.

« Où sont situés les appartements prévus pour le Prince Mélien ? » demanda-t-il sèchement.
« Je… Ils… Ils sont… » bafouilla l’effrayé. « Suivez-moi. » parvint-il à dire en déglutissant difficilement.

Karlus le suivit donc jusqu’à sa destination qu’ils atteignirent en peu de temps. Il congédia son guide d’un geste du bras armé. Maintenant, une mission l’attendait. Il allait inspecter les pièces dans lesquelles Mélien allait passer son séjour dans ces lieux. Gare à l’assassin qui oserait s’y dissimuler, il ne vivrait pas assez longtemps pour accomplir son méfait.

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