[QL: Le Géant et la Souris] 2 - La Cabane de Grognar

Post N°1

Foutue journée pourrie ! Je sais pas ce qu’ils ont eu tous à mourir le même jour mais je trouve pas que c’est une attitude amicale. Pourraient penser à moi, bordel. J’ai jamais eu autant de trous à faire en si pas longtemps.

Toute une famille décimée en même temps. Et pis pas la petite famille, hein. Non, non. Sept gamins, le père, la mère et les deux vieux qui vont avec. Bon, pour les mouflets, j’avais bien pensé à faire qu’un trou. Surtout qu’y en avait des tout petits. On aurait pu les empiler et de dehors, on voyait pas la différence. Mais paraît que ça se fait pas qu’y m’a dit mon cureton. Un trou par personne, c’est la règle. Téléphane a dit : "Tout corps définitivement mort a droit à sa propre "sétulpure" !"

Marrant, Téléphane ! C’est pas lui qui prend la pelle !

Bref, j’ai creusé toute la journée et je me suis coltiné les macchabées à descendre dans les fosses. Le seul truc qui m’a consolé, c’est qu’il y avait personne pour venir chouiner pendant que je faisais le turbin. Parce que ça, ça a une légère tendance à me porter sur les nerfs. Tous les pifs tout rouges à force de larmoyer, et pis les sanglots. Comme si y avait de quoi en faire toute une histoire. Bon, ils ont passé l’arme à gauche, d’accord mais de toute façon, on y passera tous, non ? En tout cas, ils pourraient avoir la dignité d’aller chialer ailleurs.

Là, j’ai pas eu ce problème, il restait personne de la famille pour venir inonder mes esgourdes avec leurs grincements trempés. Des "pidémies", d’après mon ensoutané. Et ben, un peu violentes, les "pidémies" ! Manquerait plus que ça se propage au reste de la ville. Faudra que je recrute des arpètes parce que je donne pas ma part aux clébards quand il s’agit de faire le boulot, mais je peux quand même pas me démultiplier. J’ai mes limites !

Du lever du soleil au coucher, j’ai creusé et rebouché. Je peux te dire que j’aurai pas volé ma petite bibine du soir. Tiens, pis pour fêter ça, bien possible que j’en boive quatre ou cinq de plus que d’habitude. Parce que là, j’ai les reins en "capitolade".

En tout cas, ça m’a foutu sacrément de mauvaise humeur. Je sens que je vais me pieuter fâché et je me connais, y’a rien de tel pour que je me réveille contrarié. Ça va pas être le moment de venir me chatouiller l’agacement. Sûr qu’au bistrot, je vais encore être obligé de mettre des baffes pour éparpiller un peu les déplaisants.

Suite

Post N°4

Précédemment

[Piégée...?]

La conscience lui revient d'un coup comme si on venait de lui jeter un seau d'eau glacée au visage. Une impression désagréable et familière.
Mais pourtant cette fois...

Où que j'suis?

S'empêchant de bouger, osant à peine respirer, Trotte-menue écoute. Le brouhaha de la rue a disparu et autour d'elle règne un calme oppressant pour qui est habituée aux cris et imprécations.
Ouvrant à demi les yeux, rapidement, la souris inspecte les alentours.

Où que c'est?...une planque?

L'endroit n'est pas très vaste et plutôt sombre mais pourtant ce n'est pas là le taudis qu'elle connaît, rien à voir avec le logis de sa maquerelle.
Et d'ailleurs, la preuve en est, le lit sur lequel la brunette repose.
Chez l'autre, elle n'a jamais eu droit aussi loin qu'elle s'en souvienne, qu'à un tas de chiffons ou au mieux une paillasse en piteux état.
Là au contraire... du bout des doigts, Trotte-menue tâte la couverture qui la recouvre avant de se détendre imperceptiblement.

Au moins j'suis point morte!

Mais dans ce cas.... qu'est-il arrivé au géant à la pelle?

Millebouses!! La bourse? Mon coutel?!

Envolés... rien dans les mains...
Finalement, la curiosité est la plus forte.
Saisissant la couverture comme une bouée salutaire, la souris se redresse prête à bondir si besoin.
Mais à ce moment son regard se pose sur la pelle étincelante.

Macarelle!!! Le démon!!

Et la peur revient au galop en même temps que la sensation d'être encore une fois prise au piège. Vivante mais en cage.

Post N°4

Précédemment

*Entrée du cimetière, deux types blonds avec des fleurs à la main.*

- Tu te souviens de l’endroit frangin ?
- Non… par là? Ou par là? Tu te souviens toi?
- Non, j’étais trop triste frangin.
- Moi aussi, tout pareil.
- C’est important d’être triste pour l’enterrement de sa grand’Ma.
- Pour sûr.
- C’est pas Roxie qui nous a ramené au cabanon ?
- Elle est bien cette Roxie.
- Nous aurions dû l’emmener avec nous. Elle est un peu de la famille Roxie.
- Et elle connait le chemin.
- Ouais.

*Pause pensive avec des têtes qui se tournent à droite, qui se tournent à gauche.*

- Faut qu’on trouve. Tu sais ce qu’a dit M’man.
- Elle a dit qu’on devait honorer la mémoire de grand’Ma pour l’anniversaire de sa mort.
- Et se rappeler de bons souvenirs.
- Tu te souviens de quoi toi ?
- Je me souviens de ce qu’elle mettait à grand’Pa quand il rentrait en retard.
- Il est pas là Grand’Pa d’ailleurs ?
- Ca fait un moment que je ne l’ai pas vu frangin.
- Il est peut être en prison?
- Il est veuf frangin.
- Oh ah ah ! Ouah elle est bonne celle-ci frangin !
- C’est pas une cabane là bas?
- ah ouais! Un habitant du coin sans doute.
- Il doit savoir où est grand’Ma !
- On y va !

*Devant la cabane de Grognar. Les deux types avec leurs fleurs toquent à la porte.*

- Y’a quelqu’un ?
- C’est les frères Brawen!
- On vient célébrer la mort de notre Grand’Ma
- Et se rappeler comment elle dépouillait les nobles.
- C’est vrai frangin, elle faisait ça. Elle m’avait emmené une fois.
- Hey, y’a quelqu’un ?

Post N°7

En arrivant à mon gourbi, la gamine dormait encore. Faut croire que le trajet sur mon dos l’avait bercée. Je l’ai basculée sur mon plumard et comme elle frissonnait dans son sommeil, je l’ai soigneusement emballée dans la couverture.

Quand j’ai vu ce que les camelots demandaient pour trois fèves et un chou, j’ai laissé tomber l’idée de faire les courses. Y’a quand même un gros problème de pouvoir d’achat dans cet Empire ! Il vaut mieux se servir dans la nature ou faire son jardin soi-même. Et ça tombe bien, j’ai le plus beau coin de nature de la Capitale rien que pour moi.

Creuser pour creuser, j’aime autant faire des trous pour enterrer des carottes que pour planter des anciens vivants. Et on peut dire que ça manque pas de place autour des tombes, j’ai de la surface "à bricoles". Ils ont prévu large pour ranger les avariés sur plusieurs générations. Alors, je me suis installé un petit jardin dans le fond du cimetière, là où plus personne ne vient tellement même les descendants sont tous déjà morts. Je me suis fait des rangs de légumes sur mes potes âgés.

J’ai laissé la p’tite roupiller tranquille et je suis sorti lui préparer son casse-croûte. Je lui ai cueilli une belle salade encore humide de la rosée du matin et pour le dessert, quelques fraises sauvages. Ça pousse comme du chiendent dans les allées.

A part le pain, j’ai quand même acheté une "sizaine" d’œufs au marché. Parce que les "zeuffes", c’est quand même bon. Même si je trouve moins bizarre de manger ce qui pousse sur des gens faisandés que ce qui sort du cul de la poule.

Je vais lui "con-coquetier" une petite omelette aux morilles façon Grognar. Elle va quand même pas se contenter d’un croûton, la gamine. Même si c’est un bout de mie qui m’a coûté la peau des roustons.

On dit qu'un cueilleur ne donne jamais ses coins à champignons. Moi, mon coin, il est pas loin de ma cabane, dans le petit bosquet au bout du cimetière. Au printemps, ça donne de la morille à "perfusion". Faut croire que d’avoir des moisis en-dessous, ça les fertilise.

Bref, j’ai bien rempli mon petit panier et j’ai repris le chemin de ma cabane, en trouvant qu’il faisait beau.

Hé là ! C’est quoi ces deux gus qui viennent cogner à ma porte ? Ils sont "pas tibulaires" mais un peu quand même. Si c’est des maquereaux qui viennent récupérer leur gagne-pain, ils vont pas mettre longtemps à comprendre que la p’tite est sous ma protection. Je sens que je vais être obligé de les éconduire poliment à coups de taloches.

- Non, y’a pas quelqu’un ! Le seul quelqu’un qu’y a, c’est moi et j’y suis pas !

Post N°5

*Les deux se retournent, toujours avec leur bouquet.*

- Ca alors, regarde frangin, voilà le taulier !
- Oui, il était dehors.
- On aurait pu cogner longtemps que ça se serait pas ouvert.
- Bonjour, nous sommes les frères Brawen.
- Bonjour !
- Regarde frangin, il a des champignons !
- Il les fait peut être pousser sur grand’Ma !
- C’est possible ça, t’as raison, elle aimait bien les champignons.
- Pis c’est plus utile qu’une fleur, un champignon.
- Tu te souviens des omelettes aux champignons qu’elle nous faisait Grand Ma ?
- Tu me donnes faim frangin.

*Cessent leur monodialogue et reviennent à Grognar.*

- C’est l’anniversaire de la mort de Grand’Ma.
- Alors not’ M’Man nous a demandé de venir lui porter des fleurs et de se rappeler notre Grand’Ma.
- Sauf qu’on sait plus où elle est posée.
- On avait le cerveau tout embué l’an dernier.
- Complètement à l’envers, même que c’est Roxie qui nous a ramené.
- Alors on se disait que le taulier devait pouvoir nous aiguiller.
- Sur sa tombe, y’avait marqué Brawen, vous pouvez nous aider ?

Post N°8

Qu’est ce que c’est que ces deux zigotos mêmes pas foutus de lire les noms sur les tombes ? Qu’ils aient une galette et un petit pot de beurre à porter à leur grand-mère, ça m’en touche qu’une sans faire bouger l’autre. Ils croient peut-être que je me souviens de tous les noms de ceux que je plante…

La double tronche de ces blondinets me dit quelque chose. Pas impossible vu leurs frusques que je les aie croisés au "Pied de Cochon". Par contre, me rappelle pas si je les ai éparpillés. Faut croire que non parce que si moi, je les oublie, ceux qui ont eu l’honneur de mes mandales s’en souviennent longtemps. Et ces deux-là ont pas l’air d’avoir les miquettes.

Je me dis que des petits gars qu’écoutent leur "môman" et qui se pichtronnent la ruche au point d’en perdre le nord de la gauche peuvent pas être des mauvais bougres. Alors, je fais l’effort d’être aimable. Putain, on peut dire que c’est la journée ! Je sais pas ce qui me prend, bordel, on dirait que je suis de bonne humeur.

- Vu comme vous êtes fringués, pas la peine de vous envoyer au carré des aristos. Donc, le quartier populaire, c’est là-bas au fond. Là "ousque" les tombes sont des planches en bois ou pas de tombe du tout. Si votre grand-mère a laissé assez de mornifle pour lui payer une stèle, ben vous trouverez son nom dessus. Peux pas vous en dire plus ! Après, vous avez plus qu’à lire. Y’a du monde mais vous avez quat’z’yeux, vous irez quatre fois plus vite.

Sur ce, je passe entre eux deux en manifestant que "y’a qu’à se pousser, j’voudrais passer", et j’ouvre la porte de mes pénates. C’est que j’ai un poulet maigrelet à remplumer, moi, et l’odeur des morilles commence à me faire baver.

Je laisse les blondinets aller compter les asticots sur la motte de leur mémé et depuis le pas de ma porte ouverte, je m’aperçois que la gamine est réveillée. Elle me regarde avec des yeux de "pied-de-biche" effarouchée.

Bon, j’essaye plus de lui sourire, elle va encore tomber dans les pommes mais je tends bien haut et fièrement le panier de ma petite récolte.

- Alors, Mam’zelle, t’es sortie de la brume ? Ça tombe bien, voilà le casse-croûte !

Post N°5

[Apprivoisement en cours...]

Malgré sa peur, Trotte-menue n'a pas perdu de temps, faisant à sa façon la visite de la bicoque histoire d'en mesurer les intérêts et désavantages. Ses petits doigts, farfouillant, touchant à tout, le tour a été vite fait.
L'endroit n'a rien d'un palais (ou de l'idée qu'elle s'en fait du moins) mais ressemble plus à la tanière d'un ours avec une drôle d'odeur en plus. Une odeur qui imprègne tout mais que la jeunette n'arrive pas à définir.
Quand les coups ont retenti sur la porte, à nouveau elle s'est figée en cachant derrière son dos un couteau découvert dans un fourbi d'ustensiles.
Oreille tendue, à l'écoute des voix, elle a entendu et attendu.

Des tombes?!
Y crèche dans un cimetière?!
La pelle... faut que j'me...

Mais à trop jouer les curieuses, on perd du temps. La porte s'ouvre sur le géant armé cette fois d'un panier.
Trotte-menue ne bouge pas d'un poil bien que la porte lui fasse de l'oeil. Son coeur s'affole mais elle tient bon, bien décidée à affronter son gôlier/sauveur.
Un regard aux deux têtes dans l'encadrement de la porte, un autre au cueilleur et toujours aussi avare en mots elle grogne, pas commode:

-Un casse-croute?
C'est eux qui font la tambouille?

Peine perdue, aussitôt un gargouillement intempestif issu de son ventre vide résonne dans la petite cabane, anéantissant son air revêche. Trotte-menue en est vexée, d'autant plus qu'une rougeur révélatrice lui monte soudain aux joues.

Post N°6

*Suivent la direction indiquée du regard*

- Ohhh….
- C’est là-bas Frangin !
- Merci l’ami! Les Brawen se souviendront de ce coup de pouce !
- Pour sûr.

*Grognar passe et ouvre la porte.*

- Oh regarde, y’ une pitchoune à l’intérieur.
- Sa fille sans doute.
- On dirait pas.
- Elle doit tenir de sa mère.
- Tu entends, elle a faim.
- Bonne appétit M’zelle, nous sommes les frères Brawen.

*Partent à la recherche de la tombe et se remémorent des souvenirs de famille.*

- C’est pas un cousin qu’est là ?
- Ah oui. On lui avait pourtant dit que c’était risqué.
- S’associer à notre P’Pa.
- P’Pa a eu le temps de monter dans l’arbre, les chiens des gardes ont pas pu le bouffer.
- Marrant, il a été mis à coté d’un autre Brawen.
- Grand-oncle Euclide… Personne l’a aidé à mourir lui.
- Un bon. Tu te souviens des histoires qu’il nous racontait quand on était môme?
- Ah, grand Ma est là bas frangin.
- Oui ! Le taulier devait pas connaitre la famille Brawen.
- Ouais. Jamais un Brawen serait privé d’une belle tombe.
- Salut Grand Ma, c’est nous ! On t’a apporté des fleurs.
- Tu te souviens de l’aut’ saloperie de fleuriste de Fernande ?
- C’est à elle qu’on les a volées. On s’est dit que tu apprécierais.

*Moment conséquent pendant lequel les Brawen donnent des nouvelles à leur grand-mère, se recueillent et échangent des souvenirs.*

- Il est temps de partir frangin.
- Ouais. Au revoir grand Ma.
- Tu veux qu’on repasse voir le taulier ?
- Ah ouais, tiens, bonne idée.

Post N°6

[Et pendant ce temps... dans la cabane au fond du jardin... cimetière!]

Mam'zelle???
Y z'ont dit mam'zelle?!

Sidérée et sous le charme malgré elle, Trotte-menue regarde un moment les deux têtes blondes qui se détournent avant d'en revenir à son géant.
Encore désarçonnée par ce "mamz'elle" qui sonne si doucement à ses oreilles de gamine des rues, elle observe son hébergeur sans trop savoir que faire.
Dans son dos le couteau déniché lui brûle la main. A moins que ça ne soit une certaine culpabilité...
Après tout, jusqu'à présent, le fossoyeur a été plus qu'aimable...si on peut dire.
Il aurait pu l'envoyer rejoindre ses habituels clients plus d'une fois et sans que personne intervienne.
Mais il ne l'a pas fait.
Voilà qu'il lui donne même du "mam'zelle".
Et puis, n'est-il pas charmant avec son panier à la main?

Un ours égaré hors de sa forest...

L'image finit par faire sourire la gamine qui repense à ce spectacle à la fois comique et tragique vu il y a longtemps un jour de fête dans la cité. Un montreur et son ours jongleur.... Le sourire est un peu forcé, hésitant même mais il finit par étirer les lèvres fines tandis qu'elle se lance enfin, d'un ton plus aimable tout en triturant le sol de son pied, signe d'une nervosité évidente.

- Moy c'est Trotte-menue...ou la peste ou c'que tu...vous voulez...messire...

Un peu de civilité ne peut pas faire de mal , surtout quand on a à se faire pardonner certaine piqûre.
Mais il y a quand même une chose que Trotte-menue veut bien claire avant que quoi que soit soit conclu entre le géant et elle.

-Hum... compte...ez! Comptez point sur moy pour assaisonner vot'e casse-croute!! Et pis...merci pour c'que tu..vous savez...

Nouveau gargouillement tonitruant, pour des excuses et remerciements plus conséquents, on repassera plus tard.

Post N°9

C’est la première fois que j’entends sa voix à la gamine. Elle sait donc parler. Même si c’est pas mon loisir préféré, faut bien reconnaître que ce sera plus facile pour se comprendre.

Pendant que les deux gugusses s’éloignent, j’essaye d’entamer un brin de "conservation" :

- Désolé si ta gamelle arrive en retard… J’ai beau avoir des clients pas causants, je suis toujours dérangé par des touristes.

Pendant que je trifouille dans le tas de machins ousque je range ma batterie de cuisine, la gamine fait un petit trou dans la terre battue de ma cabane avec la pointe de son pied. C’est qu’elle va m’abimer mon carrelage, la p’tite souris.

- Moy c'est Trotte-menue...ou la peste ou c'que tu...vous voulez...messire...

Bordel de Téléphane, j’ai bien trouvé ma poêle mais qu’est-ce que j’ai foutu de mon surin ?

- D’ac, mam’zelle ! Je t’appellerais donc "Crotte-Minus" puisque c’est ton nom. Mais évite de me donner du Messire. Mon blaze à moi, c’est Grognar et la seule terre où je règne est un champ en friche semé de moisis. Et tu peux me croire, c’est pas de la graine qui repousse.

Même si j’ai une patience énorme, pas trouver mon couteau, ça commence à m’effleurer un peu les nerfs.

-Hum... compte...ez! Comptez point sur moy pour assaisonner vot'e casse-croute!! Et pis...merci pour c'que tu..vous savez...

A la voir tournicoter comme ça, j’aperçois un truc qui brille pas dans ses mains qu’elles gardent dans le dos. Et un truc qui brille pas, ça ressemble foutrement à la description du couteau que je cherche partout. Va pas falloir qu’elle s’amuse trop à me faire ce genre de blague, j’ai le sens de l’humour limité.

- T’en fais pas pour ça, je suis pas manchot de la casserole. Je vais te préparer une omelette aux petits… champignons. Mais faut déjà me rendre mes ustensiles…

En tendant le bras, je récupère ma lame et un grognement sorti de son ventre me rappelle qu’y a urgence à nourrir l’oisillon.

En deux temps, trois mouvements, j’ai découpé, mélangé, assaisonné… J’ai posé ma poêle sur le poêle ( Oh, tiens, c’est le même mot, j’avais jamais remarqué !) et en quelque minutes, j’ai déposé devant son nez une écuelle fumante.

- Bon appétit !

Post N°7

La reconnaissance du ventre.
Comme une affamée qu'elle est, au signal donné par le fossoyeur, la gamine se jette sur l'omelette sans demander son reste et sans plus se préoccuper de rien.
Un festin pour elle. Un festin brûlant mais peu importe, elle engloutit sa part en moins de deux et en y mettant les doigts avant de s'essuyer la bouche du dos de la main, un sourire satisfait sur le visage.
Et un bout d'omelette collé au menton...
Encore un ou deux cadeaux du genre et c'est sûr, elle sera prête à se damner pour le géant qui lui semble à présent le plus beau balafré du monde.
Elle en a déjà oublié sa vexation de se voir reprendre le vieux couteau si aisément et même le nom désobligeant qu'il vient de lui attribuer.
Surtout qu'il y mêle du "mamz'elle"! Et ce "mamz'elle" la fait se sentir trois fois plus grande qu'elle n'est.

Mamz'elle Crotte-minus...Mamz'elle... mamz'elle? Vi... c'est moy...

Et hop! La voilà à minauder dans sa tête en attendant que son hébergeur termine son écuelle.
A minauder et à baver sur un autre morceau d'omelette parce que quand même, la vanité ne nourrit pas.
Au bout d'un moment, n'y tenant plus et toute peur oubliée, elle tend son écuelle vide sous le nez du géant.

-C'estait ben bon!! Tu m'en donnes encor dis... mon bon Grognar?
Pis ensuite tu m'fais visiter ton champ et tes moisis?
C'est à cause d'eux que ça embaume chez toi?
C'estait pour eux la pelle?
Si tu veux j'pourrais t'aider...
Leur mett'e...des croix? Des fleurs?
J'puis arracher la mauvaise herbe aussi...

Et oui... la mort ne l'impressionne pas plus que ça la souris. Des cadavres elle en a déjà vu, généralement des amochés. Il y a même eu un pendu une fois. Sa maquerelle l'avait emmenée au spectacle "pour t'apprendre!" avait-elle dit. Trotte-menue y avait rendu toute sa bile, horrifiée et pas dormi trois jours durant de peur de fermer l'oeil et de voir le condamné se tortiller en vain, les yeux révulsés. Leçon bien apprise: éviter le gibet!
Donc des morts sagement enfouis ça n'a rien de dérangeant.

Post N°10

Elle aime bien ma tambouille, la gamine. Ca a l’air de lui réjouir les "pupilles". Elle a baffré à toute vitesse en se tartinant la tronche et la v’là qui tend sa gamelle.

"C'estait ben bon!! Tu m'en donnes encor dis... mon bon Grognar?
Pis ensuite tu m'fais visiter ton champ et tes moisis?"

Pas de pot, j’aurais bien grignoté un peu de rab. C’est que j’ai pas la même taille de carcasse à remplir. Mais bon… Comme elle doit pas grailler à sa faim tous les jours, je vais rester avec mes gargouillis. J’aurais quand même dû acheter plus de "zeuffes".

- Tu veux visiter mon champ de navets ? Pourquoi pas ? Je peux te montrer les tombes rigolotes. Dans le coin des richards, y’en a qui s’font construire de ces monuments…

En évitant de regarder la fin de mon casse-croûte qui s’en va, je remplis sa gamelle avec tout le reste de l’omelette.

"C'est à cause d'eux que ça embaume chez toi?
C'estait pour eux la pelle?"

- J’embaume rien du tout, moi. C’est pas mon boulot ! Moi, je fais un trou, je plante un moisi et je rebouche. Faut pas m’en demander plus ! Je fais du terrassement, je suis pas empailleur. Et la pelle, c’est mon outil de travail. Si c’est juste pour désosser des contrariants, j’en ai pas besoin, j’ai assez de paluches.

C’est qu’elle en laisserait pas une miette, la gredine. En trois bouchées, elle engloutit tout mon espoir de me caler une dent creuse avec un peu de restes.

"Si tu veux j'pourrais t'aider...
Leur mett'e...des croix? Des fleurs?
J'puis arracher la mauvaise herbe aussi..."

- Pour les fleurs, laisse tomber. Ceux qu’ont de la famille se font fleurir. Tiens, comme les deux guignols qui viennent de passer. Et les mauvaises herbes, c’est que des fraises et c’est le dessert.

Je lui sers ma récolte et je compte même pas en gober une ou deux. Sûr qu’elle va s’enfourner le tout dans le cornet avant que j’ai pu en attraper une. Sont même pas lavées mais ça a pas l’air de la gêner. Parait qu’il faut toujours laver les fraises sauvages, à cause des renards qui pissent dessus et ça peut donner des maladies. Mais dans mon jardin, y’a pas de renards. Enfin, je crois pas.

- Si c’est juste un toit sur la tête que tu cherches, pas la peine de me proposer tes services. Tu peux rester ici si ça te chante. Je t’ai pas ramenée sur mon dos pour te renvoyer dans les pattes des vilains zigotos des rues pas claires. C’est pas le Palais Impérial la cabane à Grognar mais c’est la cabane à Grognar. Ici, t’es sûre de pas être dérangée par des "zurluberlus".

Je la laisse finir ses fraises et pis, j’irai lui faire faire un tour du propriétaire. Si elle veut crécher chez moi, autant qu’elle connaisse le décor.

Post N°8

Des fraises!!!!
Déjà calée mais pas repue, Trotte-menue contemple les fruits rouges avec l'air d'une religieuse qui se pâme.
Une fois déjà elle y a goûté, un compagnon d'infortune mort depuis au détour d'une ruelle lui en ayant gracieusement offert une poignée volée sur un étal.
Ecrasée la poignée... mais les fraises malgré leur état lui ont laissé un souvenir...
Hop! Hop! Hop! Aussitôt saisies, aussitôt englouties! Le gamine se découvre un appétit d'ogresse.
Ce n'est qu'au moment de pendre la dernière pour faire un sort au dessert que soudain Trotte-menue se rend compte que le géant a beaucoup causé mais peu mangé. A vrai dire, il l'a surtout regardé faire...
Honteuse.
A regrets mais bonne princesse, elle lui tend alors THE LAST ONE! La plus grosse, la plus juteuse et sucrée sûrement... avec ce petit goût acide qu'ont les fraises sauvages et qui vous fait claquer la langue de plaisir...

-Tiens... c'est pour toi... elles sont bonnes... Moi???? Chez... ici????

Sous l'effet de la stupeur et de la joie mêlées de se voir ainsi offrir le gîte sans contrepartie d'aucune sorte, la fraise rescapée lui échappe et vient choir au sol. Dans un réflexe, Trotte-menue plonge et se retrouve à genoux, la fraise écrabouillée collée sous la main.
Raté pour le cadeau!
C'est une gamine tourneboulée qui se relève alors. D'un coup d'oeil effaré elle fait le tour de l'habitation en n'osant trop croire à sa bonne fortune et puis pâlit brusquement. Trop de bonnes choses d'un coup, ça a la don de vous rendre malade... ça et la tambouille de Grognar... ou plutôt l'abus d'omelette...
Malade et larmoyante.
Le tour du propriétaire attendra.
Pour l'instant y'a des émotions à gérer.
D'un bond, en évitant de regarder Grognar, la souris va jusqu'à la pelle et embrasse du bout des lèvres le métal froid et brillant à défaut d'oser le faire avec le propriétaire avant de se ruer sur la porte pour filer pleurer discrètement à l'extérieur.

-Je... J'reviens!

Dehors, égarée, Trotte-menue zigzague entre les tombes avant de s'affaler au pied de l'une d'elle, sans même la voir. C'est juste que celle-là est assez haute pour qu'elle s'y appuie afin de pleurer tout en reniflant bruyamment.
Une chose est sûre, elle a encore des choses à apprendre sur la façon de remercier quand on reçoit un cadeau.

Post N°7

- Ah Frangin, je ne sais pas ce que tu en penses, mais ça m’a fait du bien.
- Tout pareil Frangin !
- C’est bien d’être vivants…
- De s’en sortir…
- Nous sommes de vrais Brawen.
- Ouais !
…
- Roxie se fait du mouron pour Daneel Frangin.
- Ouais… elle dit que là où il va, savoir donner un coup de poing ne sera pas suffisant.
- Elle a peut être raison.
- Tu te souviens de la fois où il a sorti l'épée.
- Difficile d'oublier.
- Ouais.
- Il s'en sortira.
- J'en suis sûr Frangin.
…
- ça serait bien s'il était fier de nous à son retour.
- Il le sera Frangin.
- Tu entends?
- On dirait des pleurs. Ça arrive dans les cimetières.
- C'est vrai.
- On avait pleuré y'a un an.
- On s'approche?
- Ouais.
…
- Hey… C'est pas la fille du Taulier?
- Holà, la pitchoune, ça va pas?
- Raconte aux Brawen.
- Maman dit toujours… tu te souviens Frangin?
- Ouais, les chagrins, c'est comme les torgnoles et les butins, ça se partage.

Post N°9

Ne jamais tourner le dos.
Dans son égarement, Trotte-menue a oublié la règle numéro un et se raidit en entendant le bruit des voix derrière elle, s'attendant à tout.
Mais comme rien ne se passe et qu'on semble attendre une réponse de sa part, essuyant rapidement ses larmes, elle se retourne.
Les deux frangins.
Vexée d'être ainsi surprise en plein désarroi, la fredine va pour leur dire de se mêler de leur affaires et courir se refugier entre les pattes de son nouveau protecteur déclaré quand soudain, l'un des mots prononcé par le binôme fait tilt.
Butins!
Ils ont parlé de butins!
Du coup, ravalant sa langue, Trotte-menue prend le temps de la réflexion...
Des mercenaires?
Des fredins?
Des qui cachent bien leur jeu?
L'habit ne fait pas le moine mais quand même...
Quoi qu'il en soit, le tour de la question est vite fait.
Depuis peu elle a une dette envers un balafré et toute dette se doit d'être honorée (règle numéro deux!).
Mais comme le dit balafré ne semble pas vouloir de son aide, elle doit trouver un autre moyen et justement là....
En reniflant bien ostensiblement, Trotte-menue achève d'essuyer une dernière larme de sa manche crasseuse et puis baisse les yeux, la bouche tremblotante.

-Me v'là ben dans la peine...c'est que... mon père... qu'vous avez vu tantost à la cabane... ben... on n'a guère de quoi faire bouillir la marmite... il... il est trop fier pour le dire mais son ouvrage ça paie point... y faut que je trouve de quoi... dictes... vous auriez du travail pour moy? J'me débrouille pas mal dans mon genre pis j'suis rapide... quand j'a l'ventre plein... pis j'sais me taire... et pas fainéante avec ça!
Siouplaist... j'veux juste de quoi gagner que'ques piécettes pour mon pauv'e père...

Son mensonge balancé, à nouveau larmoyante (sans trop se forcer), la gamine joint les deux mains histoire de compléter le tableau tandis qu'elle zieute attentivement les deux frères, prête à en rajouter une couche si besoin dans le misérabilisme.
En même temps, à y regarder de plus près, entre son allure efflanquée, sa crasse et ses hardes... il n'est guère besoin de forcer le trait.

Post N°8

La tirade émue visiblement les deux frères, dont le coeur, disaient les mauvaises langues, était plus sensible que la tête.

- Ohhhh…
- T'étais donc bien la fille du Taulier.
- Et ils ne roulent pas sur l'or.
- Ouais.
- On les aide frangin?
- Le Taulier nous a indiqué la tombe de Grand Ma.
- On les aide donc.

…

- La famille n'a pas un dicton pour ce genre de cas Frangin?
- Euh… Si je crois… Qu'est-ce qu'elle disait Maman déjà?
- …
- Ca me revient. Donne un butin à un homme, tu en feras un complice…
- Apprend lui à voler, tu en feras un voleur!
- Voleur c'est déjà pas mal!
- Oui, c'est moins bien que Brawen.
- Ca sera plus facile d'en faire une voleuse.
- Elle a l'air d'avoir des dispositions.

…

- On peut l'entraîner à la cabane du Taulier.
- Oui, faut voir la théorie avant la pratique.
- La famille n'avait pas de dicton pour ça si?
- Probablement, mais je me souviens du dicton de Daneel Frangin.
- Moi aussi!
- La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne marche.
- La pratique, c'est quand tout marche, et que personne ne sait pourquoi.
- Pour la formation de la petite, faudra retrouver le dicton sérieux de la famille.
- On rentre à la cabane? Ça te va comme plan petiote?