Venue des émissaires du désert

Post N°1

Averroès Ibn Rochd avait envoyé onze émissaires pour le mariage, les esclaves chargés de cadeaux à leur suite ne comptant pas. Onze émissaires chacun porteur d’une carafe de cristal contenant l’eau d’une des onze sources sacrées de Keustatinopol. Si les autorités d’Ilmengard connaissaient la tradition keustatine, elles auraient vue qu’envoyer un tel nombre d’hommes avec de tels présents étaient un honneur immense.

Mais elles ne savaient pas. Personne à Ilmengard ne s’intéressaient aux coutumes étrangères, surtout pas de ce petit voisin serein et sans importance. Seuls quelques marchands ou diplomates un peu moins arrogants que les autres comprendraient l’attention.

Averroès par contre savait qu’à Ilmengard l’attention passerait inaperçue. Ce message était avant tout destiné à ses vassaux, pour confirmer sa volonté de continuer sa tradition et soigner ses relations avec ses voisins.

Ainsi donc, une délégation exotique menée par Hassal Wahb Rochd, neveu d’Averroès, se présenta à la porte d’honneur du Palais Impérial. Leur venue avait été annoncée, mais ils durent tout de même attendre, ayant été précédé de peu par la Prince Mélien qui attirait toute l’attention.

Quand enfin on daigna s’occuper d’eux, Hassal confia leurs magnifiques chevaux blancs à un palefrenier et une missive d’Averroès, à remettre à l’empereur, l’officiel qui les accueillit.

Voilà ce qu’elle disait :

Spoiler:

Post N°1

Salle de la Petite Audience

Après avoir remonté la langue de marbre qui enjambait les bassins sous les regards de pierre des deux hautes statues de combattants, on franchissait la haute porte trilobée pour pénétrer dans une vaste salle qui distribuait plusieurs lieux d'importance.

A droite, un escalier monumental conduisait à l'Antichambre de l'Audience, à l'étage. En face, plusieurs portes s'ouvraient sur des pièces variées. A gauche, l'entrée de la Petite Audience, salle d'apparat utilisée par les adjoints de l'Empereur pour recevoir d'urgence émissaires ou vassaux. C'était généralement les ministres qui entendaient en ce lieu doléances et requêtes mais depuis quelques mois, l'Impératrice elle-même s'en était fait une habitude. Elle reprenait d'une volonté ferme les attributions que son époux n'était plus guère capable de remplir et gouvernait en sous-main dans le respect des apparences.

Jamais elle n'aurait osé utiliser l'Audience majestueuse et officielle, prérogative unique de l'Empereur. Elle savait trop qu'on ne lui aurait pas pardonné un tel écart du protocole et qu'on l'aurait presque considérée comme l'auteur d'un coup d'Etat si elle s'était permise une telle outrecuidance. Elle se contentait de cette moindre mesure, ce qui ne trompait aucun de ses interlocuteurs, qui réalisaient tous rapidement que le cœur du pouvoir s'était déplacé dans cette pièce plus modeste.

Encore que modeste était un qualificatif tout relatif. Il s'agissait tout de même ici aussi de démontrer la puissance de l'Empire et de son souverain et cette grandeur, comme partout dans le palais, s'inscrivait dans la pierre. Il s'agissait d'une longue halle au plafond en carène renversée, ses murs étaient couverts de fresques colorées illustrant les exploits passés de l'Empereur: récits peints de ses glorieuses victoires, évocations imagées de ses généreux traités, portraits flatteurs de la Famille Impériale,...

Au fond de la nef, plus longue que large, une estrade de marbre vert haute de quelques marches portait un trône d'albâtre, surmonté d'un dais de tapisserie aux armes Impériales. Irina y était assise, droite et rigide, une jambe élégamment repliée sur l'autre. Elle écoutait le rapport du Grand Majordome, cet officier du palais chargé de recevoir les arrivants, d'en transmettre les sollicitations et de les introduire dans la Petite Audience.

Il détailla la splendeur des cadeaux que le Seigneur Averroès offraient à l'Empereur, ne tarit pas d'éloges sur le luxe du cortège et le nombre important d'émissaires qu'on avait généreusement envoyé.

Décidément, son époux n'entrevoyait pas tout l'avantage de bien traiter ces étrangers du désert. Un Seigneur capable de telles magnificences, présentant un réel désir d'amitié avec une si exquise courtoisie n'était pas à négliger. Il valait mieux s'en faire un allié précieux, au moins pour développer avec lui des échanges économiques fructueux...

Prête à se faire la voix diplomatique de l'illustre Amicar, elle ordonna au Grand Majordome de faire entrer Hassal Wahb Rochd et sa suite.

Post N°2

Pendant qu’on les menait dans les couloirs solennels, le plus vieux de la délégation, Sahla Basl Derl, un vénérable farceur, espiègle et rieur, n’ayant jamais eu peur de grand-chose et n’ayant plus peur de rien, se risqua à quelques commentaire désobligeants sur l’architecture, dans la langue du désert. Arrivé devant la salle d’audience il s’en permit un dernier :

— Tout cela fait très nouveau riche, vous ne trouvez pas ?
— Silence, le fit taire Hassal, néanmoins amusé par ce vieil ami de son oncle. Nous arrivons apparemment.

On les arrêta en effet devant une porte monumentale, qui faisait face à de non moins monstrueux escaliers. Vraiment, tout cela était fait pour impressionner le visiteur, ce qui n’avait qu’un effet relatif sur les Keustatines, à qui on enseignait le mépris du luxe et de l’arrogance dès le plus jeune âge. Elève autant que tu veux tes hautains murs de pierre, tu n’égaleras jamais la beauté du désert, écrivit le poète, d’ailleurs, ce qui n’empêchait pas pour autant les plus jeunes et les moins sages de se laisser tout de même impressionner par la magnificence du palais. Heureusement que Sahla était là pour les ramener à la réalité, sinon Hassal lui-même se serait bien laissé allé à la contemplation béate.

Le serviteur qui les avait amenés, se retourna vers eux et déclara solennellement, avec une pointe de mépris dans la voix :

— L’Impératrice Irina vous recevra dans quelques instants.

— On à même pas le droit à l’escalier, regretta faussement Sahla dans un murmure en secouant la tête.

Hassal le fusilla d’un regard complice et répondit dans un Ilmengard parfait au majordome :

— Nous attendrons donc cet honneur ici, avec la plus grande impatience.

Les onze émissaires patientèrent effectivement, en silence, jusqu’à ce qu’un autre majordome, de l’intérieur de la salle, leur ouvre et les annonces d’une voix forte :

— L’émir Hassal Wahb Rochd et sa suite.

Ils s’avancèrent dans la salle immense et cette fois même le vieux Sahla qui avait pourtant presque tout vu, sembla impressionné par cette femme rigide et rouge qui les attendait au fond de l’interminable halle. Hassal avançait devant, et lorsqu’il ne fut plus qu’à quelques pas de l’Impératrice, il posa le genou à terre, imité par le reste de la délégation. Après quelques secondes de battements, il prit la parole et releva la tête :

— Je vous salue, ô grande Impératrice d’Ilmengard. C’est un plaisir et un honneur sans égale, pour nous, humbles hommes du désert, que de se faire accueillir dans ce sublime palais par une aussi belle et élégante personnalité. Je ne peux que difficilement faire taire mon admiration face à vous et à la magnificence que vous déployez ici, pourtant, je le dois, pour vous transmettre les salutations et les cadeaux de mon seigneur, Averroès Ibn Rochd.

Deux des émissaires s’avancèrent porteur chacun d’un cadeau, qu’ils transmirent à deux serviteurs ilmengards qui eux-mêmes les présentèrent à l’Impératrice.

— Il s’agit d’un modeste sabre pour l’Empereur et d’une humble fleur qui n’arrivera jamais à seulement égaler votre beauté pour vous.

En réalité, le fourreau et la garde du sabre étaient en or, incrustés de nombreux joyaux et gravés de savantes arabesques finement entrelacées, tandis que la fleur, une rose de cristal, avait été ciselée avec tant de dextérité qu’on aurait pu croire qu’elle eût réellement poussé dans un jardin de verre.

Ensuite, chacun des émissaires vinrent déposer une fiole d’eau, chacune teintée d’une couleur différente et serties d’une gemme particulière, sur les marches, aux pieds de l’impératrice.

— Voilà l’eau des onze sources sacrées de Keutatinopol, bénies par les djinns. Puisse cette eau vous bénir à son tour.

Suite

Post N°2

Irina vit entrer la délégation avec délectation. Une assemblée entière de nobles Seigneurs venait se prosterner devant elle. Son orgueil en fut flatté, en même temps que son avidité en fut avivée.

Les parures d’étoffes soyeuses, les bijoux, les sabres d’apparat qu’ils portaient témoignaient que leur maître était un puissant souverain à ne pas négliger. Elle prit avec d’infinies précautions la fleur de cristal qu’on lui offrait en hommage. L’ouvrage était somptueux, fait du cristal le plus pur, finement ouvragée et ciselé. Les artisans du désert étaient décidément fort talentueux. Intérieurement, elle ressentait une vive admiration pour cette peuplade ingénieuse et habile. Mais bien évidemment, elle n’en laissa rien paraître et conserva le masque froid et distant qu’elle ne quittait jamais.

D’un geste vague, elle fit signe à ses serviteurs de ramasser les offrandes et de les emmener. Et dans une volonté de prouver son intérêt, elle se leva et descendit de l’estrade de marbre pour se porter sur le pavement, à la même hauteur que ses interlocuteurs. Encore prit-elle pourtant la précaution de ne pas les inviter à se lever. Qu’elle accepte de descendre de quelques marches lui paraissait un signe suffisant de sa bienveillance. Elle n’en restait pas moins l’Impératrice, devant laquelle elle trouvait parfaitement normal de demeurer agenouillé.

- Assurez votre maître des salutations cordiales de l’Empereur ! Le Seigneur Averroès Ibn Rochd est assurément un grand souverain dont l’amitié sera précieuse à l’Empereur Amicar. La somptuosité de vos présents démontrent sans nul doute votre souhait de tendre un lien entre nos deux mondes. Votre Seigneur peut se considérer comme l’invité permanent de l’Empereur. Nos terres sont les siennes et il pourra s’y déplacer à sa guise. Lorsque le désir lui en sera pressant, il suffira au Seigneur Averroès de nous le faire connaître. Je m’empresserai alors de lui dépêcher un guide pour le conduire où bon lui semblera.

D’un claquement de doigts, elle fit accourir le Grand Majordome qui vint prendre ses ordres avec les révérences qui lui étaient habituelles.

- Offrez à nos invités de quoi se restaurer et se désaltérer ! Et conduisez-les à leurs appartements !

Elle ne s’adressait qu’à Hassal, clairement identifiable comme le chef de la délégation. Jamais elle ne se serait abaissée à adresser la parole aux suivants d’un ambassadeur.

- J’ose espérer que vous accepterez mon invitation. Ma chère fille s’apprête à prendre époux et vous arrivez au moment de la noce. Faites-nous l’honneur de votre présence, en vous faisant les représentants de votre souverain. Un ami ne peut manquer au mariage de la fille d’un ami, n’est-ce pas ?

Sa question n’attendait pas de réponse car ce n’était pas tout-à-fait une question. Elle avait fait les premiers pas par son approche personnelle. A présent, afin de donner plus de solennité et un caractère plus officiel à cette entente tacite, il était temps qu'ils rencontrent l'Empereur. L'Audience qu'il avait décidé d'accorder serait une excellente occasion de lui forcer la main. Ils recevraient les émissaires du désert dans le flot de ses invités et ne ferait sans doute aucune différence.

- Sa grâce l'Empereur donne une Audience générale pour tous ses invités, vous y êtes naturellement conviés.

Le ton qu'elle avait adopté pour cette dernière phrase était si glacé qu'elle sonna plus comme une convocation que comme une invitation. Elle tourna les talons et sortit par une porte au fond de la salle.

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