Commande du Comte de Fonlenoy

Un serviteur du Comte entra. Il venait de l'Ambassade keustatine en passant brièvement par l'hôtel particulier du Comte Juin.

Phaïstos, repérant à la livrée un individu qui devait venir pour un riche client, expédia une vente à un mercenaire de faible envergure et s'approcha du page qui déclara :

- Je viens de la part du Comte Aegidius Juin de Fonlenoy. Il devrait partir sous peu pour Keustatinopol et y veut briller, aussi m'a-t-il demandé de venir vous faire une commande particulière que voici :

Citation :: Nous, Aegidius Juin Comte de Fonlenoy, passons commande au Sieur Phaïstos de :
- une armure de cuir clouté ouvragée et frappée de Nos armes, c'est-à-dire d'argent à l'aigle de sable becquée, languée, membrée et liée de gueules. Avec casque et gantelets celle-ci devra être de la meilleure qualité et de la plus belles apparence ; apte aussi bien au combat qu'à la parade. Nous passerons à votre échoppe pour que vous puissiez prendre Nos mesures ;
- un écu du meilleur métal et de la meilleure qualité gravé de Nos armes ;
- une épée du meilleur métal et de la meilleure qualité, à la lame gravée à sa base d'une part du nom "AEGIDIUS" et de l'autre du nom "FONLENOY" ; à la garde d'or incrustée d'un rubis ;
- une dague du meilleur métal et de la meilleure qualité, à la garde d'argent incrustée d'une émeraude ;
- un jeu de huit lances parfaitement équilibrées.

Ceci devra être fait dans les plus brefs délais, Nous sommes prêts à assumer tout éventuel surcoût occasionné par la célérité que Nous vous demandons.

Avec tout notre respect pour votre savoir-faire,

Aegidius Juin, Comte de Fonlenoy.

Inconnu Neutre Guerrier : Ecuyer Profession : Armurier

Phaistos finissait avec un client quand l’envoyé arriva. Il prit le temps de conclure proprement avant de se porter à la rencontre du suivant. Les envoyés de nobles l’ennuyaient toujours. Il aimait traiter en direct, surtout que les nobles avaient toujours des envies farfelues et les gens qu’ils envoyaient n’avaient que rarement le droit de négocier l’une des prestations.

Soupirant, il prit sans un mot la note que lui tendit l’homme. L’écriture y était petite et droite. Phaistos ouvrit un tiroir et se saisit d’une paire de verres reliés par un fil de fer et les tint devant ses yeux. Prenant un papier vierge, il y gribouilla plusieurs choses en réfléchissant.

Il se relut plusieurs fois, ratura et rectifia quelques passages, puis, quand il fut satisfait, parla :

Bien. Je ne fais pas le rajout des armoiries sur les objets que je vends. Néanmoins, pour un supplément conséquent et un petit délai, je le fais sous-traiter par un artisan de grande qualité.
Les gants et le casque seront associés à l’armure, là aussi, contre un petit supplément, mais bien pâle comparé au prix de l’armure.

Il parlait d’un ton neutre et cochait ses notes au fur et à mesure.

Les armures de parades ne sont pas faites pour le combat. Je tacherai d’améliorer un peu le coté défensif de celle-ci mais ça ne protégera jamais autant qu’une véritable armure. Bien entendu, l’amélioration aura elle aussi un prix et un délai.

Pour le reste, je ne fais ni les gardes d’or, ni d’argent. Si votre seigneur en possède, je peux les ajuster sur une arme existante, mais je ne possède pas les matériaux pour les créer, ni l’équipement.
Je ne traite ce domaine uniquement de façon lointaine lorsque je m'occupe d'armes de cérémonie, mais là, nous parlons d’un objet de combat.

Enfin, regardez la liste, je ne dispose pas de lances. Peut-être devrait-il demander au palais où ils se fournissent mais cette dcatégorie est une spécialité que je ne fais pas.

Au total, ça nous fait, avec tous les suppléments dont je vous ai parlé, un total de 801 écus. La totalité de la commande sera prête d’ici 7 semaines.

Votre maitre semble pressé, c’est bien dommage, mais il faut parfois savoir s’y prendre en avance. Laissez-moi consulter mon carnet de commande.

Pour un millier d’écus, je peux le faire en un mois.

Evidemment, ces tarifs ne sont pas négociables, et pour une telle somme, je vous demanderai la moitié d’avance, le reste lorsque vous prendrez possession de la commande.

Le page était ombrageux et relativement jaloux des intérêts de son Seigneur. C'est pour cela qu'Aegidius se l'était attaché : son esprit d'initiative et sa capacité à deviner ce qui plairait le plus à son suzerain. En l'occurrence, c'était assez clair :

- Je pense qu'avec de tels délais, le Comte aura plus vite fait de commander la même chose à ses propres forges et de faire venir la commande de Fonlenoy ! Surtout qu'elles ne refuseront pas de monter une pointe sur un épieu en bois, ou de dessiner un oiseau. Ayant entendu vanter la grande qualité de votre travail -qualité que je ne conteste pas- il aura sans doute songé que vous seriez capable de vous arranger pour faire dans les meilleurs délais des pièces qui représenteront l'art de la forge impérial à l'étranger... Quant à s'y prendre à l'avance, effectivement je ne doute pas que tous les Seigneurs de l'Empire vous aient déjà commandé une armure adaptée à tous les climats, pour le cas où ils seraient invités de manière impromptue à se rendre à l'étranger ! Mon Seigneur est donc bien imprudent, et c'est avec cette information que je m'en retourne vers lui.

Sur cette pointe d'ironie dont le jeune homme était particulièrement fier, persuadé qu'elle était des meilleures qu'on eût jamais assénées, il se retourna d'un geste théâtral pour se diriger vers la sortie. Bien sûr, il laissait le temps à l'artisan de le retenir s'il entendait revoir sa position, mais si ça n'était pas le cas il n'hésiterait pas à s'en aller.

Inconnu Neutre Guerrier : Ecuyer Profession : Armurier

C'était ça qu'il voulait en demandant des lances? De vulgaires épieux améliorés? Pas des lances de chevaliers?
Ces nobles, toujours à vouloir la lune pour la veille et à faire miroiter le risque d'une perte de réputation vis à vis de la concurrence, comme si la concurrence m'arrivait à la cheville.

Restez ici.

Le marchand réfléchit.

Si vous avez entendu vanter la qualité de mon travail et non sa célérité, il y a une raison. Un homme seul ne pourra jamais tenir les délais que pourra faire une forge de comté, par contre, ça me ferait mal que vos paysans atteignent la qualité de mes armes, tout comme je doute qu'un comte entreprenne un voyage en territoires barbares du jour au lendemain.

C'est justement parce que je me souci de la qualité que je fais sous-traiter la gravure des armoiries. C'est un art, pas un dessin d'enfant. Ce que je ne sais pas faire, je le reconnais, et je m'associe avec les meilleurs pour que le résultat soit à la hauteur de mon travail. J'ai donc dit que vos armoiries seraient sur votre armure et votre bouclier, et elles y seront.

Je n'avais pas compris votre demande concernant les lances. En effet, je peux adapter un épieu dans ce style.

Compte tenu des délais de fabrication de l'armure, je dois pouvoir trouver au marché des blocs d'or et d'argent et les fondre, ou les faire fondre dans une garde.

Hormis l'armure, je peux tout vous faire sous 10 jours.
Par contre, là, on parle d'une armure de cérémonie sur mesure, adaptée au combat et portant les armes de la famille. ça ne se fait pas en une nuit.
Je peux pousser à la faire livrer sous un mois au comté de votre maître, je suppose qu'il y passera pour mettre de l'ordre dans ses affaires avant son départ.

Compte tenu des délais, et des clients que je vais devoir faire patienter et qui me demanderont une ristourne en échange, il me semble qu'un prix de 1300 écus est quelque chose d'honnête.

Lorsque l'artisan lui intima de rester, le page sourit avant de se retourner : les affaires pouvaient enfin commencer. Mais c'est un visage impassible qu'il présenta au maître armurier :

- Bien que les "paysans" de Fonlenoy soient parmi les meilleurs orfèvres de l'Empire, il est possible en effet que vous fassiez au moins aussi bien qu'eux en matière d'armes.

Bien que nous soyons d'accord quant à l'ordre de grandeur pour les prix, je tiens à préciser quelques détails concernant l'armure : mon Seigneur pourrait être amené à réellement avoir à se battre, que son convoi soit attaqué ou qu'une quelconque compétition de ce type existe à Keustatinopol. C'est pourquoi je ne crois pas trahir sa parole en disant que, plutôt que d'adapter une armure de cérémonie au combat, il voudrait que vous adaptiez une armure de combat pour lui donner plus belle apparence. Ceci devrait être considérablement moins cher, puisque le produit de base à adapter est de 3 écus plutôt que de 360. Le plus simple alors serait que pour le même prix, vous obteniez d'un tanneur la réalisation de fourreaux aux mesures de la dague et de l'épée, aux couleurs du Comté : blanc et noir pour celui de l'épée, rouge et noir pour celui de la dague.

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Phaïstos se laissa tomber sur un tabouret et se frotta le menton. Comme cela risquait de durer, il indiqua d’un geste un siège près de la porte.

Asseyez-vous je vous en prie, le temps que je réfléchisse à tout ça.

Faire attendre un client ne le dérangeait pas du moment qu’à la fin l’attente soit profitable aux deux parties.

Décidément, je préfère nettement les voyageurs qui viennent acheter une épée ébréchée, mais faut reconnaitre qu’ils ne me donnent pas non plus mille écus. Alors voyons…
Normalement, une armure de cérémonie est une armure factice destinée à être portée dans des endroits où, vu la garde qu’il y a autour, une menace apte à atteindre le porteur ferait fit de toute protection.
Et là donc, drôle d’idée, il souhaite une armure factice factice.
Mais c’est faisable…
Et qu’en est-il des délais ?
Pour les fourreaux, pas de soucis, je connais un tanneur qui pourra les réaliser.
L’armure, même en adaptant une armure existante, cela prendra du temps. Néanmoins, vu la somme, je pourrai probablement m’en servir pour faire patienter des clients.
Alors… si…
Si je commence ainsi… puis ça…
Pendant que je sous-traite, je peux faire ceci…

Le marchand gribouilla des idées et un cheminement logique. Ce n’est pas parce qu’un monde ne connait pas le travail à la chaine que ses habitants ne maitrisaient pas le concept de temps masqué. Phaïstos consulta aussi son carnet de commande, l’annota, repris sa feuille, la modifia…
Puis se tourna vers son visiteur.

Deux semaines. Pour 1300 écus, votre commande sera disponible 15 jours francs à partir du jour où votre seigneur sera venu prendre les mesures.
Si vous préférez une livraison dans votre comté, il me semble que deux jours supplémentaires seront suffisants à un coursier rapide pour faire le voyage.

Le Page était rassuré : en vérité, il savait que son maître tenait à ce que l'armure vînt de chez Phaïstos. Non seulement pour des questions de qualité - quoi qu'en pensât Phaïstos, les armuriers comtaux auraient sans doute pu faire aussi bien - mais sans doute pour des raisons politiques qui échappaient au jeune homme. Et s'il était revenu bredouille, il eût déçu le Comte, l'une des seules personnes qu'il tînt en haute estime.

Cependant, il tenta de n'en laisser rien paraître et dit avec détachement :

- Malgré un début de négociation difficile, il semblerait que nous tenions un accord profitable à toutes les parties. Si le résultat est à la hauteur des attentes du Comte, sans doute vantera-t-il vos mérites à sa Cour, ce qui pourrait bien sûr vous être profitable. Et en voyant la qualité des armes que vous vendez au tout-venant, je ne doute pas un instant de la qualité d'un travail aussi extraordinaire que celui que nous vous demandons.

Le Comte passera sans doute demain, voire ce soir s'il en a le temps.