[Quête de la Noce] 10 - Prière Nocturne

Phélys avait besoin de calme et de sérénité pour prier Téléphane de ramener la paix sur la Capitale.

Il hâta ses pas pour retourner à ses appartements sans perdre de temps en observant ce qui l’entourait comme à son habitude.

Il était essoufflé en arrivant à sa chambre. Son corps n’appréciait pas les efforts physiques trop intenses. Et, ce qui dépassait le rythme de la marche tranquille était trop intense pour le comte.

Il attendit de reprendre son souffle pour ouvrir la porte. Elle donna sur une pièce austère. Le dévot avait fait enlever tous les signes d’ostentation, de richesse opulente et décadente, tout ce qui pourrait l’écarter du chemin qu’il suivait. A présent, il n’y avait qu’une chaise de prière ainsi qu’un lit sobre et dur. La seule décoration que Phélys s’autorisait était une icône de son Dieu.

Il entra et se dirigea de suite vers son lit. Il y prit son livre de prière qu’il avait laissé là et le posa par terre. Il s’allongea, les mains posées sur la poitrine, puis ferma les yeux. Il avait besoin de se détendre avant de pouvoir s’adresser sereinement à son Dieu.

Une heure. Il avait dormi tout ce temps d’un sommeil profond. Une pause sans rêve, tranquille, reposante, revigorante. Il se sentait prêt à présent.

Phélys ramassa son livre et s’assit sur le rebord de sa couchette. Il se plongea à nouveau dans sa lecture. Il l’avait déjà lu des centaines et des centaines de fois. Mais, le relire une nouvelle fois avant de prier Téléphane de l’aider ne pourrait pas lui faire de mal.

Le jour avait laissé la place à la nuit lorsque Phélys se sentit complètement prêt. Sentant les ténèbres poindre, il avait entretemps allumé une bougie éclairant d’une lumière chiche la chambre. Il prit la chandelle à moitié consumée et la déposa sur le sol, entre la chaise et la fenêtre. Puis, il s’agenouilla sur la chaise à prière, regarda un instant l’icône au-dessus de la fenêtre et commença à prier.

Mylina était restée dans la salle sombre un temps indéterminé. Cela lui avait paru ne durer qu’une brève minute. Mais, ses yeux douloureux et probablement rougis ainsi que son visage humide et vraisemblablement boursoufflé par la tristesse lui disaient que plus d’une heure avait passé. Voire peut être deux en sentant ses jambes ankylosées.

Que devait-elle faire, elle ne le savait à présent. Elle commença cependant par sécher ses larmes et essuyer son visage trempé. La comtesse reprit son souffle et se composa un masque de froideur et de dureté pour éloigner toute personne pouvant la croiser.

Elle quitta la pièce et les ténèbres qui l’habitaient. L’antichambre se révéla tout aussi vide et calme, mais la lumière y régnant lui apporta du baume au cœur. Elle n’avait encore aucune idée de la marche à suivre, aussi décida-t-elle de laisser le hasard guider ses pas.

Elle marcha sans prêter attention à sa destination, et finalement arriva à ses quartiers. Se sentant vidée, lessivée, elle décida de s’allonger et d’abandonner ses soucis au sommeil.

Finalement, elle ne se réveilla que lorsque les derniers rayons de l’astre solaire balayèrent sa chambre avant de faire leur adieu pour la nuit. La comtesse ouvrit les yeux sur un décor lui étant familier. Face à elle, au-dessus la cheminée, son portrait la regardait d’un air énigmatique. En cet instant, se revoir telle qu’elle était il y a trois années ne lui procurait aucun plaisir.

Mylina se fit violence et se leva. Mais, elle agissait de manière machinale. Elle n’avait plus de but à présent que Thélamon avait rejeté son aide. Jusqu’à présent, sa vie n’avait eu pour seul but d’assister le Prince. Elle était perdue, et à son tour, elle avait besoin d’être aidée. Mais, vers qui se tourner ? Qui parmi ses compagnons le pourrait ?

Elle les passa en revue un par un. Pas Elias, elle ne lui faisait pas confiance. Ni Aymond, elle n’aimait pas son attitude désinvolte. Elle hésita un instant au sujet de Gustan, mais il se contenterait de lire dire de se reprendre en main sans chercher réellement à l’écouter. Il ne restait donc que Phélys. Elle serait la première à le considérer comme un incapable, mais elle avait besoin de quelqu’un et il ne restait que lui.

La comtesse quitta ses appartements et se dirigea vers ceux du dévot comte. Cela ne lui prit que quelques minutes. Elle avait fait attention à de ne pas être suivie ni remarquée. Elle ne tenait pas qu’on pense qu’elle couchait avec Phélys. C’est pour cette raison qu’elle ne prit pas la peine de frapper à la porte. Elle entra donc directement sans s’annoncer et referma immédiatement derrière elle.

L’arrivée non silencieuse ne parut pas déranger l’homme qui ne cessa pas sa prière. Mylina ne voyait qu’une silhouette taillée par la lueur d’une bougie, mais elle savait qu’il s’agissait de Phélys. Il n’y avait que lui pour se tenir dans une position inconfortable pendant des heures sans bouger.

Seulement, l’immobilité quasi surnaturelle du comte lui parut étrange. Intriguée, elle s’approcha de lui, lentement, évitant de faire du bruit qui pourrait le déconcentrer. Puis, elle tendit l’oreille et capta un son qui la rassura. Une respiration, lente, régulière et sourde, celle de Phélys. Seulement, son attention focalisée sur le prieur, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir une nouvelle fois.

Ce fut déçu que Gustan se dirigea vers les Appartements. Il marchait d’un pas décidé, mais sa résolution faiblissait à mesure qu’il se rapprochait de sa chambre. Avait-il pris la bonne décision ? Rarement, il avait autant douté qu’en cet instant. Il nécessitait des conseils. Lui qui en avait donné à maintes reprises, un comble !

Il passa rapidement les options s’offrant à lui, et choisit de s’en remettre à Téléphane. Et donc, au seul être supposé proche du Dieu. Phélys.

Il ne tenait nullement le dévot en estime. Mais, il avait un côté insouciant relaxant. A son contact, peut-être trouverait-il la solution qu’il recherchait.

Ne faisant de cérémonie, il ouvrit la porte de la chambre de Phélys sans s’annoncer. Il vit l’homme priant ainsi qu’une autre personne à laquelle il ne se serait attendu. Mylina. Que faisait-elle là ? Intriguant, mais pas le plus important.

Les deux premiers occupants de la pièce n’avaient remarqué sa présence, aussi se racla-t-il la gorge. Seule la comtesse réagit. Elle sursauta, se retourna vivement et se retrouva le visage à présent neutre face à Gustan.

« Que faites-vous là ? » questionna Mylina d’une voix plus sèche qu’elle l’aurait voulu. « La moindre des politesses aurait été de vous annoncer. »

Le comte s’excusa en maugréant. Puis, après un bref instant de réflexion décida de parler. Sa discussion avec l’empereur, mais pas la présence d’un inconnu. Son envie d’obéir à l’injonction de son sénile ami. Sa peur que la fuite fasse éclater un conflit longtemps étouffé. Finalement, malgré les sentiments qu’il savait que Mylina éprouvaient, sa crainte que Thélamon dirige un jour l’empire.

Ayant parlé lentement, choisissant ses mots avec soin, cela prit une bonne demi-heure. Cela permit à l’agenouillé de terminer sa prière avant de remarquer la présence des intrus dans sa chambre.

« Oh, mes amis ! Quel plaisir de vous revoir si tôt. » Il regarda autour de lui. « Enfin, si tard. Je vois avec félicité que mes prières ont portées leurs fruits. Téléphane m’a promptement apporté l’aide tant réclamée. Loué soit-il ! »

La réaction enjouée et soudaine de Phélys surprit Mylina. Elle sursauta à nouveau. Elle était vraiment sur les nerfs. Etre rejetée par le prince ne lui avait aucunement fait du bien. Mais, la présence des deux comtes pourrait surement l’aider à s’en remettre. Surtout après avoir ouï l’avis de Gustan concernant Thélamon.

« De l’aide. J’ai l’impression que c’est ce que nous recherchons tous les trois. »
« Oui, exactement ! » s’exclama le pieux d’une voix enjouée. « Téléphane nous a réunis ici pour une bonne raison. Il veut que nous nous entraidions. Je suis de plus sûr et certain que nos désirs coïncident d’une manière ou d’une autre. Il ne nous aurait point rassemblés sans raison. »
« Comment ? »
« Il est tout-puissant, mais Il ne fait pas tout à notre place aussi. Il nous éprouve en permanence. A nous de trouver comment surpasser cette épreuve. Il ne dresse rien que nous ne puissions surmonter. Aussi infranchissable semble l’obstacle se dressant sur le chemin que notre vie emprunte. »

Le fait que Phélys puisse faire preuve de sagesse plongea les deux autres dans un mutisme soudain. Il fut court pour le doyen du petit groupe.

« Je comprends ce que ces paroles signifient. Il nous faut donc nous faire confiance, ouvrir notre cœur, bien que je n’aime pas cette expression, et raconter en quoi nous avons besoin d’aide. En tant que galant homme, je laisse l’honneur à notre dame de commencer. » dit-il avec une légère courbette rouillée impertinente.
« Humf ! Soit ! Thélamon m’a fait le pire affront que l’on puisse me faire. » Mylina regarda ses compagnons et leur jeta un regard froid interdisant le moindre commentaire déplacé. « Bref ! Je désire lui faire regretter son geste. J’ai cru comprendre que je n’étais pas seule à ne pas le porter dans mon cœur. »
« Oh ! » fit Phélys d’un air ahuri, semblant choqué par la virulence de la haine de la jeune femme. « Ainsi, vous avez découvert le véritable visage de cet agent de Perséphon. » commença-t-il attristé. « Je désire de tout cœur le ramener dans le droit chemin, dans la foi véritable, celle de Téléphane. Malheureusement, je crains qu’il ne se soit trop enfoncé dans la sinueuse et tortueuse route démoniaque. Je redoute plus que tout le joug placé sous le signe du Malin s’il venait à succéder à notre Empereur, puisse-t-il vivre éternellement à l’image de notre Dieu. »
« Pour ma part, je tiens aussi à empêcher le Prince de monter sur le trône impérial. Mais, je ne veux pas non plus que Mélien prenne la place qui se trouvera vacante. La seule personne de la lignée impériale restante n’est autre qu’Ezabel. Seulement, elle a fui. Je devine et comprends facilement les raisons l’ayant poussé à un tel acte, mais je ne la vois nullement en tant que dirigeante de notre empire. De plus, je ne veux pas revivre un conflit sanglant pour décider qui des deux camps héritera de l’empire. »
« Je suis bien d’accord. » approuva vigoureusement la comtesse.
« Donc, si je résume… » dit Phélys d’une voix songeuse. « … nous ne voulons pas que Thélamon puisse un jour régner sur l’empire, ni son cousin d’ailleurs, pas plus qu’Ezabel. Il nous faut donc trouver quelqu’un à asseoir sur le trône. Mais avant, ou après, l’ordre importe peu, il faudra trouver un moyen pour que notre… représentant puisse monter sur le trône sans que Perséphon puisse trouver un moyen sournois de semer le chaos sur Ilmengard. »

La conversation s’orienta donc sur le choix de leur candidat. Gustan refusa de l’être arguant de son âge et de l’envie de ne pas finir comme son ami. Phélys fit de même car il avait voué sa vie à Téléphane et non à ses créatures. Mylina n’avait rien contre le fait de devenir Impératrice. Seulement, on lui reprocha son manque de maturité et d’expérience. Mais, le vieux comte possédait cela à profusion. Il pouvait combler ce manque. Cependant, il préférait une personne plus neutre, encore non soumise aux affres du pouvoir, mais suffisamment habile pour apprendre rapidement. Seulement, une telle personne ne devait pas exister.

Donc, Mylina fut celle choisie. A moins que Téléphane ne daigne leur présenter une autre personne, elle serait celle qui deviendrait Impératrice par la volonté divine.

La nuit étant bien avancée à la fin de leur entretien, normalement secret, ce qu'ils espéraient, ils se séparèrent et allèrent dormir d’un sommeil profond et réparateur.

» [Quête de la Noce] 16 - La Recherche (Suite)
» [Quête de la Noce] 2 - La Conjuration
» [Quête de la Noce] 4 - La Fuite
» [Quête de la Noce] 9 - La Séquestration
» [Quête de la Noce] 12 - La Recherche